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Trait portrait
7 janvier 2008

Un soir au café le M.

Ce soir-là, au café Le M., ils avaient longuement discuté. Refait le monde au fur et à mesure des litres de jus de tomate engloutis (elle ne boit jamais d’alcool, et il lui avait sacrifié son goût pour les mojitos au profit d’une sobriété digne d’un pape – il ne voulait pas risquer de rater quelque chose sous l’effet de l’alcool ce soir-là).

Ils avaient ri aux larmes en évoquant la chute de leur ami commun sur le quai de la gare : une fois la première frayeur passée et qu’ils étaient certains que N. ne s’était pas vraiment fait mal, le comique de la situation les avait rattrapés.


Et ce soir-là au café, il voulait qu’elle lui parle. Après le départ de N., ils s’étaient vus à quelques reprises, téléphonés aussi. Assez pour qu’il soit Sûr. Mais d’elle, il devinait trop pour douter vraiment, et assez pour désirer intensément qu’elle lui parle. Confirmation de ses espoirs ou de ses peurs, il voulait juste savoir.


Il voulait qu’elle lui parle, mais c’est finalement lui qui n’arrivait plus à se taire. Ses rapports difficiles avec son père, la semaine où il avait dû dormir dans la gare de L. faute de toit, son premier amour exilé à l’autre bout de la planète (si tant est qu’on puisse parler de bout à propos du globe terrestre), cette fois où il s’était fait casser la figure par quatre voyous – et au sujet de laquelle il ne pouvait s’empêcher de ressentir un intense sentiment de honte, d’autant plus injuste à ses yeux qu’il savait bien dans le fond qu’il n’y était pour rien.


Mais avec elle il n’avait plus, il n’avait pas honte. Heureux qu’elle se révèle une oreille attentive, heureux aussi de sentir que si elle était émue par ses histoires, pour rien au monde elle ne le prenait en pitié – des gens qui se prenaient pour la Croix rouge ou SOS amitié, il en avait déjà croisés plus que de raison.

Elle, elle l’écoutait, simplement. Réagissait, était choquée parfois, surprise souvent. Il devinait qu’à plusieurs reprises elle avait réprimé une violente envie de le tenir dans ses bras. Il la voyait frémir au son de sa voix comme il savait pouvoir la faire vibrer sous la caresse de ses doigts… Il n’en pouvait plus, et a fini par se taire.


Elle a alors pris la parole. Lentement, hésitant presque. Elle aurait pu parler des heures durant. Mais ce qu’elle lui a alors dit, il ne s’en souvient plus très bien aujourd’hui, lui qui aurait voulu garder le son de sa voix et le sens de ses mots dans une boîte à musique pour les entendre encore et encore.

Il se souvient simplement de la douleur transcendante qui l’a brusquement saisi – mais était-ce quand elle lui a dit non, ou lorqu’elle a fini par avouer ses sentiments pour lui ? – et qu’il l’a soudain, c’était ça ou mourir, doucement priée de se taire.


Avec le recul, il ne saura jamais s’expliquer s’il lui a soudain fait peur, ou si elle a fini par trouver ridicule le dramatique de la situation, ou si elle avait été prise d’un moment de faiblesse aussi violent que vite oublié. Quand il y pense aujourd’hui, il sent encore son estomac faire des bonds, il rêve encore d’entendre sa voix, il se dit qu’il aurait peut-être dû la retenir quand elle est ressortie sans lui du café Le M. ce soir-là. Il ne sait pas ce qu’elle est devenue à présent, ne se le demande même pas pour la garder dans son esprit aussi fraîche que dans ses souvenirs.


Il ne l’a jamais revue depuis. Jamais oubliée non plus.


C'était il y a vingt-quatre ans demain.

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Commentaires
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Jo> merci et bonne visite ;)
J
J'aime bien tes portraits. Je vais continuer de parcourir ton blog et les découvrir. <br /> <br /> Bonne continuation.
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