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Trait portrait
3 septembre 2007

Joyeux anniversaire

Tu disais que la rue du 4 septembre portait ce nom en l'honneur de ta date de naissance. Et moi j'y croyais.

Tu savais un nombre incroyable de choses, tu étais un scientifique reconnu, un diplomate accompli, tu avais même été le secrétaire du Roi de Belgique il fut un temps. Je rêvais de la robe qu'avait portée ton épouse à un bal de la Cour.

Tu racontais toujours des histoires et toujours en exagérant. Comme cette fois où tu aurais mis seul en déroute une compagnie entière d'allemands. Et j'adorais te croire, même si ne n'y croyais pas vraiment.

Tu m'emmenais au restaurant tous les mercredi midi. Au moment du dessert on disait toujours pour de rire au serveur Monsieur Henri que je prendrais une souche au mocolat ou des fois on disait aussi une mouche au socolat.

Tu écrivais tes pensées ou des citations d'auteurs célèbres sur des feuilles de papier que tu distribuais autour de toi. Je les ai gardées religieusement dans un classeur qui porte encore ton nom.

Tu disais qu'être bon en algèbre n'était pas une preuve d'intelligence, que c'était la géométrie qui comptait. J'étais bonne en algèbre et nulle en géométrie. Tu disais que savoir peu de choses dans plein de domaines ça restait très superficiel, que ce qui était bien c'était d'être très spécialisé dans une matière. J'ai fait sciences po et peux parler de beaucoup de choses que je ne connais pas et ne suis spécialiste de rien.

Plus tard tu m'as emmenée faire mes premières virées fringues rue de Passy. Tu voulais que je sois belle et élégante. Tu me disais souvent de sourire parce que si je faisais la gueule j'aurais une bouche tombante disgracieuse quand je serai vieille.

Tu m'appelais toujours pour que je vienne regarder Miss France avec toi. Quand tu me donnais la permission de voter et que notre favorite n'était jamais élue, tu disais qu'ils choisissent toujours les moches. Tu m'appelais pour regarder Navarro et tu disais en riant que tu me verrais bien faire commissaire de police.

Tu m'as raconté quand j'étais âgée d'une douzaine d'années nos plus noirs secrets de famille. Les amants cachés, les chantages, les menaces et le revolver. Ta mémoire te donnait le beau rôle dans ces histoires, je le savais. Tu as pris parti sans concession au moment du divorce des parents. Tu m'as raconté ce que je n'aurais pas du savoir, je l'ai caché très longtemps.

Je ne t'en ai jamais voulu. Entre nous, indéfectible, ce lien.

A ma naissance en 82, tu avais dit à ma mère de refuser toute transfusion sanguine pour moi. Tu lisais dans des revues médicales américaines qu'un virus nouveau arrivait des USA, qu'on appellerait bientôt le SIDA.

Tu m'aimais particulièrement parce que le jour où, toute la famille sortie et moi seule à la maison avec une garde d'enfants - j'avais quatre ans -, j'ai décroché le téléphone quand tu m'as appelé à l'aide, j'ai trouvé les clés de ta maison (oh, tu habitais si près, sur le même palier que nous), suis entrée chez toi et ai trouvé le numéro de ton docteur. Le médecin est venu en urgence et après l'opération nous a dit que deux heures plus tard tu serais mort. Alors tu disais que je t'avais sauvé la vie.

Mais la vie, tu l'aimais tant qu'elle t'a donné plusieurs sursis. Comme cette fois où on t'a refusé l'embarquement pour deux minutes de retard dans un avion qui s'est écrasé, aucun survivant.

Comme cette fois où ma mère m'a appelée quand j'étais en Italie Ton grand-père est en train de mourir et je suis revenue vite et tu t'es battu et tu n'es pas mort.

Comme cette fois où ma mère m'a appelée quand j'étais au Portugal Ton grand-père est en train de mourir et je suis revenue vite et tu t'es battu et tu n'es pas mort.

Et quand je suis partie vivre chez mon père, tu n'avais plus alors l'usage de la parole mais tu m'as lancé un regard si noir que j'avais l'impression d'être au Jugement final sous la défiance d'un sévère dieu.

Nous nous sommes réconciliés des mois après, toujours sans parole. J'ai enfin pu te dire combien je t'aimais.

Et quand je t'ai annoncé que j'avais réussi mon concours et que je m'en allais tu étais simplement fier et heureux que j'ai enfin trouvé ma voie.

Et cette fois où ma mère m'a appelée alors que j'étais depuis trois jours à Grenoble Ton grand-père est en train de mourir je suis revenue vite mais tu ne t'étais pas battu et tu étais déjà mort.

Aujourd'hui, 4 septembre, mon grand-père que j'aimais comme un père, aujourd'hui une fois de plus, je pense à toi.

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Commentaires
_
Chanceux et Aourell> un sourire aux larmes ? :')
A
Moi aussi, j'ai pleuré...
C
Moi aussi j'ai pleuré.
_
Merci Flo, je suis extrêment touchée par ton commentaire...
F
Tu sais que je n'aime pas lire tes blogs. Mais en me promenant sur Facebook, j'ai vu ta nouvelle adresse (nouvelle pour moi) et je suis tombée sur ce texte que je n'ai pas pu m'empêcher de le lire... et j'ai pleuré, ça me rappelle trop de choses, sur toi, mais aussi un peu de moi.<br /> Continue à écrire comme ça.
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